Irlande - France, la folie des grandeurs
- Pablo Guillen
- 19 févr. 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 oct. 2023

Il a fallu une bonne semaine pour se remettre d’un tel match. Au coup de sifflet final, les joueurs comme les spectateurs sont exténués par la rencontre, d’une intensité rarement atteinte pour du rugby (46 minutes de temps de jeu effectif, à la limite de l’overdose pour les acteurs de cette partie). Par où commencer, parce qu’il y a à dire : les deux premières nations mondiales s’affrontant dans un match du Tournoi (une grande première dans l’histoire), les meilleurs joueurs du monde présents sur le terrain, l’envie de revanche irlandaise, toujours battue par les bleus depuis le début des mandats de Galthié et de Farell (sélectionneur du XV du trèfle), sans oublier la première place du classement world rugby à la clé bref, tout laissait entrevoir la démesure de ce match. Deux équipes s’approchant du sublime, comme aime répéter Fabien Galthié, visant la perfection. Jamais le rugby européen n’a été plus poussé à son paroxysme que ce samedi 11 février à 15h à l’Aviva stadium de Dublin (bouillante pour l’occasion). On peut être fier de pouvoir dire que oui, nous avons vécu cet Irlande – France. Les réactions du rugby mondial et d’anciens joueurs ont d’ailleurs été nombreuses à l’issue de la rencontre, et cet Irlande-France fut une fabuleuse vitrine pour ce sport !
On vous épargnera un grand résumé de ce match, que tout le monde a dû voir partout tant il restera dans l’histoire du rugby international. Pour faire court, l’Irlande s’impose 32-19 dans un match qu’elle a dans l’ensemble contrôlé. Quelques statistiques montrent l’intensité folle et le niveau de la partie qu’il nous a été donné de voir. 1334 mètres gagnés ballons en main (record de l’histoire du tournoi) 248 placages pour les bleus, 46 minutes de temps de jeu effectif (moyenne de 41 minutes dans le rugby international), juste vertigineux. Pour un fan de rugby, qu’on soit irlandais, français ou autre, ces 80 minutes ont été jouissives, tant le rugby proposé était superbe. La première mi-temps est d’ailleurs considérée pour beaucoup comme la meilleure de l’histoire du Tournoi des 6 nations, rien que ça.
Dans l’histoire, l’Irlande et la France ont toujours été assez proches, et les résultats ont souvent été serrés. Il est normal aujourd’hui de les retrouver au sommet du rugby mondial, tant leur travail et leur ascension ont été forts ces dernières années. Ce match était attendu de tous, et l’occasion de se tester entre meilleurs, à six mois de la Coupe du monde en France.
Ce match, c’est deux oppositions de style, d’abord une Irlande méthodique, huilée, répétant un rugby orchestré depuis quelques années comme une chorégraphie connue sur le bout des doigts par chaque joueur. Une équipe rarement battue cette année (seulement par la France et la Nouvelle-Zélande), il faut reconnaître que c’est bien l’actuelle meilleure équipe du rugby mondial. Emmenée par sa légende Jonathan Sexton, 37 ans, immortel, homme providence de sa nation, l’Irlande s’est construite sur un jeu au sol d’une perfection jamais atteinte. Forte de ses phases de jeu interminables à une passe, elle semble inarrétable. Encore plus depuis que les règles sur le jeu au sol ont été renforcées (contester un ballon en 2023 est devenu très compliqué). 4 essais, dans leur style, deux en force, puis deux sur des combinaisons en leurre et redoublées dans le dos, tout simplement chirurgicales. Une équipe donc très efficace, mais qui peut ennuyer comparé à nos Bleus. Chez eux, et avec leur impressionnant niveau, il est quand même normal de les voir nous battre.
En face, notre équipe de France, qui restait sur sa série de 14 victoires d’affilée, annoncée comme l’équipe à battre, propose un jeu peut-être moins parfait, plus brouillon ces derniers temps, mais qui correspond parfaitement à l’ADN de cette équipe. Souvent meilleure dans le désordre (le splendide essai de Damian Penaud traversant tout le terrain sur un travail de Jelonch après un énorme bazar en est le parfait exemple), les Bleus peuvent faire très mal sur des exploits individuels et la folie avec laquelle ils jouent. Une folie à laquelle on est habitué depuis maintenant trois ans, et qui il faut le dire nous régale à chaque match, avec des scénarios toujours incroyables. L’arrivée de Galthié a transformé cette équipe, et lui a donné la culture de la gagne. Alors quand cette équipe perd, la déception est grande. Comme pour les Irlandais, cette équipe possède aussi « son » joueur. Il s’appelle Antoine Dupont, c’est le meilleur joueur du monde, et il l’a encore prouvé samedi. Omniprésent dans tous les secteurs du jeu

(sa défense sur le 14 irlandais a provoqué la stupéfaction, la fierté et le respect du rugby mondial), le capitaine des Bleus est au-dessus de tout le monde, et la Dupont-dépendance de l’Equipe de France semble se renforcer ces derniers mois tant notre équipe repose sur le petit toulousain. Et cela peut sembler inquiétant en vue de la Coupe du Monde en Septembre prochain.
Cette défaite fait certes mal (puisqu’elle met fin à notre série de 14 victoires), vu les attentes qu’il y avait autour de cette rencontre, et la déception des joueurs est forte, mais il n’y a rien d’inquiétant, car les bleus ont livré une grande bataille en étant dans la partie jusqu’à la 70ème, et un

malheureux placage raté de Matthieu Jalibert sur Ringrose, qui file marquer le 4ème essai irlandais. Franchement, peu, si ce n’est aucune équipe n’aurait battu les bleus samedi dernier, tant la barre était placée haute.
L’Equipe de France est juste tombée sur la meilleure équipe du monde, et a perdu, avec la manière. Mais cette défaite arrive peut-être même au bon moment, avant la Coupe du Monde, elle semble même pour beaucoup nécessaire. Les Irlandais, au-delà d’avoir concassé les Bleus tout le match, ont récité un modèle d’occupation, passant près de dix minutes dans nos 22 mètres. Nos bleus se sont envoyés en défense, avec des statistiques de placage énormes, Flament à 28 notamment. Malgré une défense héroïque, aller gagner de cette manière résultait de l’exploit. Pourtant nos 15 premières minutes au retour du vestiaire auraient pu faire basculer la rencontre, tant on avait l’impression que les Bleus accéléraient et qu’ils avaient pris le contrôle de la partie, avec de nombreux franchissements. Fabien Galthié le dit d’ailleurs : « je pense qu’on a même été mieux qu’eux sur certains moments ». L’Equipe de France n’a pas su concrétiser cette domination, pas vraiment aidé par certaines décisions de l’arbitre Wayne Barnes, enfin bref…
Cet Irlande – France restera dans les mémoires pour longtemps, comme l’un des meilleurs matchs de l’histoire du tournoi, ayant donné un plaisir immense pour chaque amoureux du rugby. C’est le genre de match qui nous donne l’amour de ce sport. Ces deux équipes cultivent une rivalité au plus haut niveau depuis quelques années, et son point culminant risque d’arriver en septembre prochain. Car oui, après une telle rencontre, nos bleus auront une envie de revanche, et le rendez-vous est déjà pris pour la Coupe du Monde en septembre prochain, ou Irlandais et Français pourraient certainement se croiser, et peut-être même, en finale.
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