Carton rouge de 20 minutes : la guerre des hémisphères
- Pablo Guillen
- 30 oct. 2024
- 4 min de lecture
Le 14 novembre prochain, World Rugby décidera de l’application ou non à l’échelle mondiale du carton rouge de 20 minutes. Depuis plusieurs semaines, deux visions du rugby s’opposent sur le sujet entre les hémisphères nord et sud.
Ce pourrait être une déflagration importante au sein du rugby mondial. Le 14 novembre prochain, le Conseil de World Rugby devra trancher à propos d’une série de nouvelles règles visant à « améliorer » le jeu. Parmi elles, le fameux carton rouge de 20 minutes qui agite la planète rugby depuis maintenant plusieurs semaines.
Pour résumer, un joueur ayant reçu un carton rouge pourrait être remplacé au bout de 20 minutes par un de ses coéquipiers et ainsi permettre aux siens de ne pas terminer la rencontre à 14.Ce carton fait partie du plan d’action « The Shape of the Game », comprenez la forme du jeu, que dirige World Rugby depuis 2023 et notamment la Coupe du monde en France. Un plan d’action qui vise à « améliorer l’expérience des supporters et des joueurs » dans le but d’attirer plus de monde devant les matchs de rugby.
Au grand dam d’une partie de l’ovalie, le carton rouge de 20 minutes gagne progressivement du terrain et sera même testé durant la prochaine tournée d’automne, réunissant toutes les nations majeures de ce sport.
Néo-Zélandais et Australiens veulent capitaliser
Ce carton rouge de 20 minutes a d'abord été mis à l'essai par la SANZAAR, comité organisateur du Rugby Championship et du Super Rugby et donc dirigé en partie par les fédérations néo-zélandaises et australiennes. Ce sont elles qui ont appuyé le test de ce carton rouge au niveau mondial, en vigueur cet été lors du Rugby Championship.
Les matchs de haut niveau seraient, selon ces deux dernières et World Rugby, faussés par des cartons rouges dans les premières minutes et perdraient ainsi leur intérêt. En somme, une affaire de spectacle, mais aussi certainement d’argent, le rugby australien étant notamment au sortir d’une crise financière majeure. "C'est absolument vital pour l'avenir du jeu dans la mesure où cela reconnaît les aspects de sécurité mais permet également d’améliorer le jeu […] Les fans de rugby comprendront que c’est une très bonne chose pour ce sport. C’est une avancée majeure", a déclaré Mark Robinson, patron de la fédération néo-zélandaise, dans un entretien accordé au The Sunday-Star Time.
En élargissant la question, on comprend que ce carton rouge de 20 minutes est une étape importante pour le projet australo-néo-zélandais : aller vers un jeu de plus en plus rapide et simplifié (quelque peu inspiré du rugby à XIII), quitte à mettre en péril l’essence du rugby à XV en transformant des règles sacrées de ce sport comme le carton rouge. "Plus de rythme, moins d'intervention. Nous suivons cette voie depuis plusieurs années et cela commence vraiment à avoir un impact".
Le rugby français au cœur de la lutte
Si les fédérations néo-zélandaises et australiennes soutiennent donc fortement l’amendement, les autres nations majeures du rugby se sont pour la plupart abstenues. Seulement pour la plupart, puisque les fédérations françaises et irlandaises, aujourd’hui fers de lance de l’hémisphère nord, ont-elles affirmé tout haut leur profond désaccord. Dans un communiqué début octobre, le rugby français (LNR, FFR et Provale) a détaillé son opposition.
En effet, dirigeants, joueurs et entraîneurs de l’hexagone restent perplexes sur le sujet. Retirer la dimension symbolique du carton rouge interroge à plusieurs niveaux, la protection des joueurs en premier lieu. “Le carton rouge est un outil essentiel pour dissuader les comportements dangereux sur le terrain et garantir la sécurité de nos joueurs. Réduire cette sanction à une exclusion temporaire de 20 minutes affaiblirait notre capacité à protéger l’intégrité physique des athlètes et à maintenir le fair-play, valeurs fondamentales du rugby", explique Jean-Marc Lhermet, vice-président de la FFR.
Une position commentée par Robinson : "Certains commentaires faits par la France ne sont pas représentatifs du débat qui a lieu ou des preuves qui existent à ce sujet". Les divisions entre le sud et le nord semblent donc s’accentuer, alors que l’élection décisive à la présidence de World Rugby, qui opposera le Français Abdelatif Benazzi, l’Italien Andrea Rinaldo et surtout l’Australien Brett Robinson (qui a récemment reçu le soutien de son homologue néo-zélandais) approche à grands pas.
Le Conseil de World Rugby tranchera donc le 14 novembre prochain. Si ces règles étaient votées, elles seraient appliquées mondialement à l’été 2025. Le rugby est ainsi certainement à un tournant de son histoire. World Rugby martèle son message : « Accroitre l’audience du sport en le rendant plus accessible et plus attrayant ». Oui, mais à quel prix ? Le rugby français s’est lui empressé de se positionner sur la question, mais aura-t-il une influence assez forte, tant les fédérations du sud semblent posséder une emprise importante sur les décisions actuelles ? Le capitaine de l’équipe de France Grégory Alldritt soupirait à la mi-octobre : "Je pense que c'est une aberration […] On s’y adaptera, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise". Constat amer d'un rugby aux fractures de plus en plus importantes.
Photos : New Zealand Rugby / France Rugby
Comments